Les Jawarih , L’éveil des sens
I La Lumière
Dieu est la Lumière des cieux et de la terre !
Sa lumière est comparable à une niche où se trouve une lampe.
La lampe est dans un verre ; le verre est comparable à une étoile brillante.
Cette lampe est allumée à un arbre béni ;
l’Olivier qui ne provient ni de l’Orient ni de l’Occident
et dont l’huile est près d’éclairer sans que le feu la touche.
Lumière sur lumière !
Dieu guide vers sa lumière, qui il veut.
Dieu propose aux hommes des paraboles.
Dieu connaît toute chose.
Coran, (Sourate 24, verset 35)
Lorsqu’on évoque la question des sens, il faut, selon la tradition, revenir à la notion de Lumière, selon la perspective coranique.
Dieu, dans le Coran, se décrit lui-même comme :
« Lumière sur Lumière »
Il y a comme une progression depuis une lumière grossière vers une lumière plus subtile, c’est-à-dire une lumière élevée (au sens mathématique du terme, en considérant par exemple sa vitesse) à la puissance de la lumière !
Dans cette « Suite de Lumières », chaque lumière est elle-même éclairée par une lumière encore plus profonde, plus subtile.
Il en est de même des organes des sens. A la première Lumière, celle du monde physique, de la terre, correspondent des sens dans leur développement ordinaire.
Par une éducation d’éveil appropriée, les sens peuvent gagner en subtilité, en intensité, en lumière et nous ouvrir alors à cette lumière métaphysique, cette lumière incréée, à la lumière céleste.
II Al Jawarih
Les Jawarih, selon la Tradition, sont donc les sens placés dans une perspective d’éveil, susceptibles d’éducation.
En occident, nous connaissons cinq organes des sens : Vue- ouïe – odorat – goût – toucher.
En langue arabe, le terme correspondant aux cinq sens est « al Hawass al khams ». (Littéralement les cinq sens).
Dans la tradition islamique, sept Jawarihs sont décrits :
1) Sama’ – ouïe
2) Basar – vue
3) Lisane – langue
4) Anf – odorat
5) Mass -toucher mains et pieds
5) Batan – ventre
7) Farj – sexe
Il y a donc deux perceptions de plus :
– Al Batan : le ventre
– Al Farj : le sexe
Les Jawarih sont nos moyens de percevoir le monde qui nous entoure.
Dans la voie spirituelle, chacun des Jawarih est susceptible d’une sublimation, d’un raffinement pour accéder à une autre perception.
Ainsi, les soufis ont particulièrement insisté sur le sens du goût. Pour eux la connaissance de Dieu passe par la gustation spirituelle (Dhawq).
III Al Jawarih : voiles ou perceptions ?
Les Jawarih ont cette double fonction :
D’une part ils sont nécessaires pour le développement de notre personnalité.
D’autre part ils sont des voiles par excellence qui nous limitent.
Si nous prenons l’exemple de l’ouïe, ce que nous entendons peut être une contre vérité. Mais l’ouïe capte tout, elle capte l’information d’où qu’elle vienne. Comment, à ce moment là, éveiller l’ouïe à filtrer ces informations ?
Ainsi, telle information entendue par l’ouïe est prise en charge par la réflexion, laquelle va vouloir l’analyser, la comparer en fonction de ses acquis, de sa mémoire. Nous réagissons donc en fonction de nos acquis. Telle situation, tel objet, telle personne sera acceptée ou refusée.
On peut déjà voir à ce niveau l’importance de l’éducation d’éveil, en particulier des enfants en ne chargeant pas leur mémoire de nos préjugés : les noirs sont comme ci, les jaunes sont comme cela, etc…
Les Jawarih, en tant que perceptions sensorielles et corporelles sont nos ouvertures sur le monde. Parfois ils peuvent devenir des blessures (étymologiquement, l’un des sens de Jawarih). Il peut en être ainsi de l’enfant qui a vu ou entendu ce qu’il ne devait pas, en fonction de sa sensibilité, de sa Fitra. Ce peut être l’enfant qui a été blessé dans sa chair et qui l’enfouit dans sa mémoire.
Les Jawarih sont nos ouvertures sur le monde, et par là sont notre conscience du monde.
Etre conscient, nous le verrons plus tard, c’est s’ouvrir au monde comme un miroir.
La question est là ! Comment éduquer nos sens, nos Jawarih, sans introduire une morale normative qui va à l’encontre d’une éducation d’éveil ?
IV L’éveil des sens
Nous sommes exposés vingt quatre heures sur vingt quatre au monde par l’intermédiaire des Jawarih. Que nous reste-t-il en définitive ?
Dans cette exposition, soyons conscients, soyons éveillés afin que le travail des Jawarih ne soit pas une pure perte.
Les Jawarih sont en première ligne dans l’éducation spirituelle. Le travail spirituel n’est pas d’ordre intellectuel, ni philosophique. Il est concret, les Jawarih sont nos premières expériences de conscientisation. L’éducation spirituelle ne s’adresse pas à l’Esprit !
1) Al Batan : le ventre
Al Batan décrit la relation de l’homme à la nourriture.
Ce que je fais rentrer en moi, en ouvrant la bouche, va automatiquement entrer en relation avec moi-même, avec l’être.
Si pour moi la nourriture est sacrée, dans cette perspective de l’unicité, en mangeant, j’introduis de la sacralité à l’intérieur de moi-même.
La nourriture est une information qui nourrit l’âme. Manger salé ou sucré ; manger de la viande ou du poisson, c’est déjà une information.
Pour la tradition, mon corps est sacré, mon corps est un périmètre sacré. Je ne dois pas aller à l’encontre de cette sacralité en y introduisant des aliments qui peuvent lui nuire.
Ce sont les rituels alimentaires que l’on retrouve dans toutes les traditions. Ils participent à l’éveil de la sacralité du corps.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le licite et l’illicite dans l’alimentation. L’illicite est ce qui vient désacraliser un espace sacré et le perturber. Ce n’est pas dans le sens moral ou dogmatique, c’est un vécu ;
L’intention (Niya) joue un rôle considérable à ce niveau. Elle nous rappelle la sacralité du corps et nous met en éveil devant la sacralité de la nourriture.
Parfois nous n’avons pas le choix, la nécessité commande, mais l’intention est toujours là.
En définitive je mange ce qui correspond à ma conscience et ce qui nourrit ma conscience.
Les drogues avec l’état de dépendance inhérente, sont à placer dans ce chapitre.
2) Al Farj : le sexe
La première chose à ce propos est qu’il n’y a pas de tabou.
La sexualité est même considérée comme louable lorsqu’elle est vécue dans la transparence. Dans l’islam, il n’y a pas cette notion de péché originel. La sexualité est ce qui nous permet de transmettre la vie. Elle se doit d’être en harmonie avec la sacralité qui nous habite. Toute une éducation d’éveil trouve sa place à ce niveau. Il y a une distinction entre la génitalité qui trouve sa finalité dans le plaisir et la sexualité qui anoblit l’être.
Par la sexualité nous transmettons notre état de conscience.
Par la sexualité la conscience se transmet de génération en génération.
La tradition islamique, à travers cette éducation à la sexualité, veille pour que notre sexualité ne soit pas perturbatrice. C’est la fameuse « Fitna ».
L’imam Razali dans son livre :
« ‘Ih’ya’ ‘ouloûm ed din » « Le livre des bons usages en matière du mariage »
(Traduit par L. Bercher et G.H. Bousquet A. Maisonneuve Paris 1953 Bibliothèque de la faculté de droit d’Alger XVII) traite de cette éducation. Il enseignait la sexualité, déjà à son époque, dans les mosquées devant 4000 ou 5000 personnes. Est-ce encore possible aujourd’hui ? Non.
Dans notre religion, il n’y a pas de gène (La haya fi eddine), il n’y a pas de honte à aborder n’importe quel problème, y compris la sexualité.
Les parents doivent parler de cette réalité à leurs enfants, fille ou garçon, et de la responsabilité qu’elle comporte.
Nous allons vers une société où la femme peut procréer sans l’homme, où l’enfant peut avoir deux pères ou deux mères, sans parler du clonage.
La société se dirige vers une programmation de la vie, où la sexualité se réduira à la génitalité, à la jouissance immédiate et temporelle.
Des centres spécialisés s’occuperont de la reproduction. L’a
rgent interviendra aussi, nous aurons l’enfant que nous pourrons nous payer.
Une nouvelle éthique apparaît, une nouvelle perception de l’homme se manifeste.
Nous aurons des enfants qui ne seront plus génétiquement issus de leurs parents.
L’enfant sera le fruit d’un vouloir médical, d’une volonté scientifique.
Il y a un risque d’élitisme entre cette nouvelle génération, exempte de maladies génétiques, davantage intelligente, et les « Enfants d’Adam ».
Il y a un risque de coupure dans l’héritage adamique.
La sexualité est ce pacte adamique, cette transmission que nous avons reçue et que nous devons restituer.
La sexualité est ce pacte adamique qui nous relie à travers les générations.
La sexualité transmet Al Amana : le Dépôt, notre héritage adamique.
3) Al Sama’ : l’ouie
L’éducation de l’ouie nous porte à écouter la parole divine derrière toute parole.
4) Al Basar : la vue
L’éducation de la vue nous porte à voir l’image divine derrière chaque manifestation.
V La conscience des sens
L’éducation spirituelle des sens obéit à un double processus.
– La sacralisation que nous venons d’évoquer.
– L’allusion spirituelle.
Qu’est-ce que l’allusion ?
C’est un rattachement, une relience entre des « objets », des situations que la raison ne peut relier.
Par exemple, un Cheikh était en train d’enseigner ses disciples. A un moment un passant dans la rue crie à un enfant qui jetait des pierres : « Arrête » (Barakat). Le Cheikh se tait immédiatement. La Modhakara, l’enseignement spirituel, était terminé.
Dans l’éveil de la conscience à l’unicité, tout est relié.
Aujourd’hui nous avons internet, le web, la toile d’araignée, où l’information circule dans tous les sens.
Dans l’éveil de la conscience, le monde devient notre « écran ». On ne peut dire que ce soit de la synchronicité, car nous ne sommes pas des automates. Disons qu’il y a une forte prise de conscience de notre environnement, du plus proche au plus lointain.
Ces évènements ces signes sont toujours manifestes, matériels, ils ne sont pas sujet à interprétation.
Cette perception vient après une éducation des sens, d’où l’importance de cette dernière.
Pour nous, les sens semblent normaux. On ne s’en préoccupe pas. Ils sont automatiques. Alors nous les oublions.
Nous les oublions alors qu’ils nous exposent en permanence. Alors l’œil regarde sans voir, l’oreille entend sans écouter, la langue parle sans attacher d’importance aux mots prononcés.
Dans le Tassawuf, je me mets en premier dans l’instant, tous mes sens sont comme « branchés », la conscience apparaît et se met en éveil. Mes sens sont devenus pleinement opérationnels, non pas dans la division, mais dans l’unité (des sources). Dans cet état, tous les sens sont en éveil, les sept Jawarih sont un. L’œil, l’oreille, le sexe… Ils sont un.
La science expérimentale reconnaît aujourd’hui cette connexion, cette interrelation entre le tout et le tout. C’est une première lumière qui éclaire l’homme sur des notions qu’il ne connaissait pas, il y a peu de temps encore.
Mais à mon avis, qu’est-ce que je retiens dans mon vécu ? Je sais que l’unité existe, mais il ne suffit pas de le proclamer pour le vivre !
Comment réaliser en soi cet état, comment le vivre ?
VI Les sens et la Fitra.
D’abord il y a le « Cœur »
Ce Cœur est basé sur le Tawhid, l’unité.
Ce Cœur est fait de Fitra, d’innocence, de pureté primordiale. Je construis alors ma perception du monde autour du Cœur.
Je me détache de toutes mes limites. J’apprends à désapprendre.
Je me détache de tout enseignement culturel, psychologique, philosophique, de tout ce qui me restreint.
Nous sommes trop limités par l’information acquise par les paroles de l’autre, par les enseignements de l’école, de l’université.
VII Ma vision de moi-même
Dans l’univers tout est ordre et tout est désordre. Le désordre donne de l’ordre.
Dans le cosmos, une étoile, une super nova explose. Elle donne naissance à un nuage de gaz d’où jaillissent une multitude de galax
ies, d’étoiles, de soleils, de planètes.
Où sont l’ordre et le désordre ?
Comment rendre le désordre, ordre ?
Dans mon cosmos intérieur, dans mon âme, suis-je au stade de l’étoile, de la super nova ?
Suis-je « matière » blanche ou « matière » noire ?
Retrouvez en vous, cette transformation perpétuelle de la création et situez-vous dans cette alchimie cosmique.
Le voir par soi-même.
VIII La conversion des sens au Divin.
Pour l’homme, le monde est accessible par les sens, « le Vivant » se fait connaître par les sens.
Alors c’est « dans » les sens qu’il faut rechercher Dieu. C’est par les sens que la quête du divin commence. La quête, c’est convertir les sens à la perception du Divin. Le « Graal », c’est l’éveil des sens.