Zuhd , Zuhad
Le Zuhd et les Zuhad
Une des notions très importantes dans le cheminement spirituel est le Zuhd, qu’on traduit parfois par ascétisme, mais aussi par « détachement », ou « renoncement ».
Voici la définition que donne al Jurjânî dans son « livre des définitions »: « Dans l’usage, c’est de refuser de s’attacher à une chose. Dans le vocabulaire des gens de la réalisation spirituelle, c’est l’aversion et l’éloignement qu’on éprouve pour le monde d’ici bas. C’est de renoncer au repos en ce monde par la recherche de la quiétude propre à la vie future. C’est, dit on, que tu vides ton coeur comme tu as vidé ta main.«
Le détachement de cette vie terrestre est tout d’abord une attitude de la meilleure des Créatures, Sayyiduna Muhmmad (saws), comme ce fut l’attitude des prophètes en général, qu’ils soient dans le dénuement ou la richesse. Dans la croyance islamique, nous disons que le fait que les prophètes souffrent en ce monde (par la maladie, la perte d’êtres chers, la guerre…) est une sagesse d’Allah pour leur enseigner et nous enseigner la faible valeur de ce bas monde.
L’imam al Sanusi dans sa ‘aqida Sanussiya nous explique en effet que les souffrances des prophètes en ce monde peuvent être dues à 4 raisons:
– Pour la magnification de leur récompense,
– ou pour la législation,
– ou pour le détachement de cette vie d’ici bas (le leur et le nôtre),
– ou pour nous mettre en garde de la nature méprisable (de cette vie) aux Yeux d’Allah, Exalté soit-Il, et qu’Il n’en est pas satisfait en tant que place ou que récompense finale pour Ses Prophètes et Ses Amis (awliya), de par la condition dans laquelle ils y vivent, paix et bénédictions d’Allah sur eux.
Par ailleurs, il faut savoir que dans les premiers temps de l’Islam, le mot « Zuhd » a été appliqué à la science du Tasawwuf en elle même, qui ne prendra définitivement ce nom que plus tard.
Les premiers Zuhad furent certains des compagnons illustres et proches du prophète (saws) comme Sayyduna Salman al Farsi, Sayyiduna Abu Horayra, Sayyiduna Bilal al Habashi, et même Sayyiduna ‘Ali est souvent compté parmi eux. Ils vivaient dans un grand dénuement et dans le détachement de ce bas monde. En conséquence, le Prophète (saws) les éduquait de façon plus dure et rigoureuse que la plupart des compagnons. Ghazali raconte qu’un jour Sayiduna Bilal (raa) avait reçu en aumône une miche de pain. Il en mangea la moitié et voulut garder l’autre moitié pour le lendemain. Et le Prophète (saws) lui dit: « ô Bilal, soit tu mange ce pain soit tu le donne, mais ne garde rien. Car celui qui t’as nourrit hier te nourrira demain. »
Puis on peut citer parmi les tabi’in qui furent qualifiés de Zuhad: Hassan al Bassri, Sufyan at Thawri, Rabi’a al Adawiyya, Bishr al Hafi… Tous ceux qui furent considérés comme les pères et mères du tasawuf tel qu’on le connaît aujourd’hui. Des ouvrages anciens de hadith ou des traités sur le Zuhd furent composés par de grands savants comme l’imam Ahmad, l’imam al Bayhaqi, etc. On en dénombre plus d’une soixantaine. Pour les plus anciens d’entre eux, ces livres peuvent être légitimement considérés comme des livres de soufisme avant l’heure.
Citations
Allah le Très Haut a dit:
« Sachez que la vie d’ici bas n’est qu’un jeu, frivolité, parure, course à l’orgueil entre vous et rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants. Elle est en cela pareille à une pluie: la végétation qu’elle fait naître émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie, ensuite elle devient tels des débris. Et dans l’au delà un dur châtiment pour les non croyants et aussi pardon et agrément d’ALLAH pour les croyants. Quant à la vie d’ici bas, elle n’est que jouissance trompeuse. »
(Verset 20 de la sourate 57)
« Cette vie d’ici-bas n’est qu’amusement et jeu. La Demeure de l’au-delà est assurément la vraie vie. S’ils savaient! »
(Verset 64 sourate 29)
« Ce qui se trouve auprès de vous s’épuise, mais ce qui se trouve auprès de Dieu demeure » (Verset 96 sourate 16)
L’Envoyé d’Allah, saws, a dit:
« L’Heure approche alors que les gens aiment de plus en plus cette vie présente, et se détournent de plus en plus d’Allah. » (Hadith Sahih apporté par al Hakim)
« Ce bas monde est maudit et tout ce qui s’y trouve est maudit, à l’exception de l’évocation d’Allah et de ceux qui le prennent comme allié et des savants ou de ceux qui apprennent la science. » (Rapporté par Ettermidhï et Ibn Mâdja d’après Abî Huraïra.)
« La vie présente est la prison du croyant et le paradis du mécréant. » (Hadith Sahih rapporté par Mouslim)
« Renonce à ce bas monde et Allah- Exalté soit-Il – t’aimera et renonce à ce que les gens possèdent et les gens t’aimeront. » Rapporté par Ibni Mâdja et Ettabarâni dans El-Kabîr et El-Hâkem d’après Sahl Ibn Sâ’d Essa’ïdi.
Bishr ibn al Harith, l’ami de l’imam Ahmad a dit: « Celui qui aime ce bas monde n’éprouve pas la suavité du service d’Allah. »
Sufyan at Thawri rapporte: « ‘Issa (Jésus, paix sur lui) disait que l’amour du monde est à l’origine de toute faute et que l’argent est responsable de beaucoup de maux. » (cité par Ibn Hanbal, Bayhaqi et Abu Nu’aym)
Hassan al Bassri a dit : « Le détachement de la vie présente (zuhd) n’est pas l’interdiction du licite, ni le gaspillage de l’argent, mais c’est le fait d’être plus attaché à ce qu’il y a dans les Mains d’Allah qu’à ce qu’il y a entre tes propres mains. »
Ne soit possédé par rien
Le détachement n’est pas l’abandon extérieur des choses, car ce détachement là est aisé. C’est le détachement intérieur des désirs et des aspirations qui sont orientées vers autre qu’Allah. Cet attachement vaut d’ailleurs autant pour les choses qu’on possède que celles qu’on convoite.
On ne dit pas: « ne possèdes pas » dans l’islam. On dit: « ne sois possédé par rien si ce n’est Allah ». Et toute personne qui a aimé une chose où une personne intensément sait qu’il est difficile de ne pas être possédé par ce que l’on aime.
ibn Atta Illah a dit: « tu n’a jamais désiré une chose sans en être l’esclave. »
Avoir conscience de la faible valeur de cette vie, du fait qu’elle est un piège mortel, « un serpent au toucher doux mais aux entrailles empoisonnées » comme disait l’imam ‘Ali ibn Abi Talib ne signifie pas vivre comme des ascètes qui éprouvent leur corps et leur mental par la privation, mais il s’agit de détacher son amour de ce bas monde, pour ne l’orienter que vers le Créateur de ce monde.
Ce qui signifie bien sur que l’on peut avoir ses possessions, ses relations, sa vie, mais que l’on ne doit pas y être attaché, au contraire on doit en être détaché au point que si on perdait tout demain on n’en serait pas affecté. Seul Allah doit demeurer dans le coeur, car en vérité, comme Allah le dit dans sourate al-Rahman: « Tout disparaîtra sauf Sa Face ». Un jour, en effet, la mort nous séparera de ce monde qu’on le désire ou non, et si notre âme est encore liée à ce monde son retrait sera douloureux et difficile, alors que si elle en est détaché, elle s’élèvera vers son Bien Aimé, libérée de la prison de l’illusion, vers la vie véritable.
Jounayd disait que ce qu’il faut obtenir comme détachement c’est: « De considérer le monde comme peu de choses et de faire disparaître toutes ses empreintes du coeur. »
Ad Darini disait quelque chose de semblable: « Le rejet de tout ce qui occupe l’esprit en dehors d’Allah. »
Le désir d’autre chose qu’Allah ou Son obéissance peut engendrer des maladies du coeur graves, car l’être humain n’est jamais satisfait par nature, à tel point qu’il finit par désirer ce qui est illicite ou ce qui ne lui appartient pas, ou bien par ne pas se satisfaire de la part qu’Allah lui a accordée, ou encore à l’inverse s’enorgueillir de ce qu’il possède, et se croire meilleur que les autres.
Le Prophète, saws, demandait dans ses invocations: « O Allah, fait que ce monde soit dans nos mains et pas dans nos coeurs. »
Fudayl ibn ‘Iyyad a dit: « le zuhd, c’est de se contenter de ce qui est licite. »
Ibn ‘Uyayna a dit: « le renonçant est celui qui, lorsqu’il est gratifié d’un bienfait, rend grâce, et lorsqu’il est éprouvé, patiente. »
al Hassan a dit: L’ascète est celui qui, quand il sort de chez lui, voit chaque personne et se dit: « cette personne est meilleure que moi ».
L’amour exclusif pour Allah
Rompre avec les passions et les désirs est une chose nécessaire mais n’est valable que si l’amour est canalisé vers Allah uniquement.
Ach Chibli a dit: [le zuhd] « C’est, pour le coeur, le détourner des être pour le tourner vers Celui qui est le Seigneur des êtres. »
Dhul Nun a dit: « l’ascète est celui qui rejette le monde pour l’amour de Dieu. »
Il a dit également: « Un des signes de celui qui aime Dieu est qu’il rejette tout ce qui le distrait de Lui,
pour n’être tout entier préoccupé que de Lui seul. »
Ces attaches sont nécessairement un voile car l’amour est destiné à Allah comme le dit le verset de la sourate al Baqara: « et ceux qui croient sont ardents dans l’amour d’Allah. »
Al-Junayd disait : « J’ai entendu Sarâ al-Saqatî dire : « Dieu -qu’Il soit exalté et magnifié – a éloigné le bas-monde de Ses amis, l’a chassé auprès de Ses élus et l’a extirpé des coeurs de ceux qui l’aiment parce qu’Il ne l’a pas voulu pour eux ».
Mais bien sur, une fois que l’amour est exclusivement voué à Allah, il est évident qu’il faut aimer les manifestations d’Allah, comme on aimerait les paroles et les actes d’un être aimé. Et c’est pour cela qu’on peut, et dans l’idéal doit aimer toutes les créatures car elles sont les actes de Dieu, de par Son Acte de Création, et sont Sa manifestation la plus évidente ici bas.
Les nombreux versets qui nous invitent à méditer sur la création ne sont là que pour que nous y voyons des signes d’Allah, leur Créateur, leur Existenciateur, Celui qui les maintient constamment dans l’existence, mais pas pour elles mêmes.
Allah est le seul qu’on puisse, qu’on ai le droit d’aimer pour Lui Même, pour Son Essence. Toutes les autres créatures sont aimées pour Allah par Allah et en Allah.
Mais cela n’est réellement possible qu’après avoir compris que cette vie n’a qu’une faible valeur, éphémère et traîtresse.
Le compagnonnage d’un maître vivant est une aide pour acquérir le véritable détachement, car le détachement le plus difficile n’est pas celui des choses, mais il est celui des passions et des désirs qui voilent le disciple au Créateur. En effet, le Maître Sidi Hamza al Qadiri al Budchichi a dit:
« La Lumière Divine tourne autour du coeur du disciple. Pour qu’un avion atterrisse, il faut que la piste d’atterrissage soit entièrement dégagée. De la même façon, si notre coeur est rempli de désirs ou de passions, la Lumière ne trouvera pas de lieu où se poser. »
C’est donc en éduquant son âme auprès d’un maître spirituel, par les outils du dhikr et du respect des préceptes de l’Islam et des convenances de la Voie Spirituelle, que l’on apprend à, non seulement se détacher de cette vie et se préparer à la vie future, mais également à vivre dans cette vie de manière saine, à la manière des gens de Dieu, comme le montre cette parole de Sidi Hamza:
« Le jour où Dieu veut faire bénéficier son serviteur de Ses Grâces, Il fait pénétrer dans son coeur un souffle d’amour. Ainsi, le serviteur, bien qu’il soit impliqué dans les affaires de ce bas monde, sent en permanence le goût de Son Seigneur. Les Prophètes, eux aussi, travaillaient comme nous, mais leur travail ne dominait pas leur coeur qui restait fermement attaché à Dieu. »
Qu’Allah exalté nous rende pauvres en passion et en désir de ce monde, et riches de Sa Miséricorde et de Son Amour, amin.
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